Article écrit en janvier 2020.
Dans cette série « Jo Freeman vs. les Coop’s« , Lucie et moi passons au crible le fonctionnement de la Cocoricoop et de la Louve en utilisant les 7 principes qu’elle propose comme garantie d’un fonctionnement démocratique. Ami·e lecteur·rice, tu es invité·e, sur ce site même, à en faire de même avec ta coop’ !
Cocoricoop
Cocoricoop est une épicerie libre : autogérée, sans employés, sans AG, sans bureau ou commissions. C’est 1% de marge sur les produits, pas d’obligation de travail (si ce n’est morale). Un lancement en trois mois et trois années d’existence jusque là.
Coopérative alimentaire à vocation autogérée, la Cocoricoop de Villers-Cotterêts semble s’inscrire à merveille dans ce que Jo Freeman nomme « l’absence de structure ». En effet, d’après moi, un des motifs de sa création est de se passer de toute forme de hiérarchie, et par là, de s’approprier, à titre individuel et collectif, les savoirs et le pouvoir nécessaires au fonctionnement d’une telle entreprise (au sens premier du terme, bien entendu, à savoir : « ce qu’on se propose d’entreprendre », selon le Petit Robert). Ainsi donc, et à l’inverse de la Louve, la coopérative parisienne, pas de salarié.es ici ; le même pouvoir pour tout le monde, la même possibilité d’action pour chacun.e au sein de la coop, et le même poids dans les décisions.
Voilà pour la théorie. Mais en pratique, qu’en est-il ? La Cocoricoop saura-t-elle réellement passer au crible des sept principes tranchants de Freeman ? Se gardera-t-elle de succomber à l’appel des sirènes de la cooptation, de la logique affinitaire et du confort des structures de pouvoir préétablies ? Penchons-nous sans plus attendre sur cette question.
Principe n°1
Résumé de l’analyse
Le modèle de la Cocoricoop se base sur l’absence de délégation pour l’essentiel des tâches. Avec pour pendant le fait que chaque membre peut faire (ou ne pas faire) ce qu’il souhaite, sans en référer au groupe. Jo Freeman nous met en garde envers un tel fonctionnement : « Laisser certaines personnes réaliser des travaux ou des tâches par défaut n’assure pas qu’elles soient réalisées sérieusement ». Cocoricoop l’accepte et le revendique. Si une tâche n’est pas réalisées sérieusement c’est que soit elle n’est pas nécessaire (ou que personne ne s’est encore rendu compte qu’elle l’est); soit que l’épicerie ne mérite pas un engagement et qu’elle doit péricliter. Ainsi, la survie du projet pèse sur toutes les épaules afin de responsabiliser chacun·e face à son implication.
Deux délégations sont néanmoins instituées pour la gestion des finances. Elles sont précises, à des personnes concrètes et pour des tâches délimitées. En revanche, la nomination ces rôles laisse à désirer démocratiquement : les nominations se font à l’amiable entre les candidat·e·s. Néanmoins, ceci est à relativiser car ces rôles sont si délimités qu’ils ne donnent pas de pouvoir : ce sont des rôles d’automates humains.
Cadre général : pas de délégation spécifique à la Cocoricoop
Selon Jo Freeman, toute organisation collective devrait s’efforcer de déléguer des formes d’autorité spécifiques à des personnes, pour des tâches précises, créant ainsi une forme d’engagement de ces personnes. On l’a dit, à la Cocoricoop, on tend vers un idéal autogestionnaire, et donc une absence d’autorité – « droit de commander, pouvoir d’imposer l’obéissance », selon le dictionnaire tout-sachant. Tous et toutes se répartissent le pouvoir.
Concrètement, cela pourrait s’illustrer de deux sortes : soit par une répartition extrêmement équilibrée de l’ensemble des tâches à tous.tes les adhérent.es, ce qui demanderait un temps très long et une vraie préparation pour que chacun.e soit satisfait.e de la tâche qui lui est dévolue ; soit une deuxième possibilité, et c’est plutôt celle-ci qui définit ce vers quoi tend la Cocoricoop : pas de délégation spécifique, mais une implication égale des adhérent.es dans la répartition des tâches, de manière spontanée. De plus, à la Cocoricoop une règle est instituée : tout le monde peut faire, défaire, refaire. Nous voilà encore dans la théorie. Concrètement, de quelles tâches parlons-nous, et qui s’y colle aujourd’hui à la coop ?
Cas concret #1 : les permanences
On peut évoquer d’abord les permanences. En effet, elles sont la façade extérieure de la coop, les moments qui permettent de se croiser entre adhérent.es, de faire découvrir la Cocoricoop à de nouvelles personnes, etc. Elles ont lieu trois fois par semaine et nécessitent au moins une personne (au mieux, plusieurs) pour ouvrir le local et gérer l’accueil. Une particularité est à citer : à l’entrée de la coop est posé un boitier à code qu contient la clé. Ainsi, une large part des membres viennent en dehors des permanences (de jour comme de nuit).
L’inscription aux permanences se fait via un tableur en ligne, par la bonne volonté de tous et toutes. Pas d’obligation, pas d’engagement à tenir un certain nombre de permanences… Seulement l’idée, répétée (martelée ?) aux dernièr.es arrivant.es, que « pour que ça fonctionne, tout le monde doit participer ».
Est-ce que cette tâche est effectuée par l’ensemble des personnes, de manière égalitaire ? Non. Est-ce que cela pourrait être le cas, étant donnés les outils existants ? Il y aura toujours une différence d’implication entre celleux qui viennent aux permanences et celleux qui utilisent le boitier. Il est à noter également que l’égalité n’est pas recherchée. Ni dans l’absolu, ni dans ce cas précis, car si certain·e·s s’impliquent sur les permanences, d’autres s’impliquent sur d’autres aspects.
Cas concret #2 : les commandes
Autres tâches récurrentes : les commandes aux fournisseurs. Il s’agit en fait d’un ensemble de tâches : le choix des fournisseurs, la recherche des catalogues, le choix des articles à commander, la vérification des comptes, la réception de la commande, le calcul des taxes sur la facture, le déballage, l’étiquetage, le rangement des produits, et le paiement aux fournisseurs.
Passer une commande
Quiconque le souhaite peut intégrer un groupe de commande (si il existe), en créer un, lancer une commande seul·e, etc. Il n’y a pas de délégation « démocratique » spécifique ici. L’accès à la possibilité de passer commande est démocratisé. Ainsi, tout le monde peut commander ce qu’iel souhaite et à tout moment, sans l’aval de quiconque. À titre d’exemple, quelques personnes se sont constituées en groupe de commande pour un des principaux fournisseurs. Iels se réunissent régulièrement à la coop pour choisir les prochains articles. Ce groupe s’est constitué de manière informelle et, a priori, sur des bases affinitaires. C’est-à-dire, de manière non « démocratique » ; mais le groupe est ouvert, et ne détient aucun monopole sur le passage des commandes. Il ne s’agit donc pas, à mon sens, d’une mise en péril du fonctionnement démocratique de la coop. C’est plutôt une initiative d’auto-organisation permettant plus d’efficacité.
Réception des commandes
Elle va de pair avec l’étiquetage et la mise en rayon. Un appel est habituellement lancé par mail par les personnes qui ont passé la commande ; les personnes disponibles se retrouvent alors à la coop. Ce moment est particulièrement intéressant en ce qui concerne la délégation des tâches. Les membres peuvent être nombreux·ses, les palettes pleines de cartons sont arrivées, c’est le rush, et il n’y a pas d’organisation préétablie ni de chef.fe pour dire quoi faire ! Chacun.e essaie donc de se trouver une tâche à effectuer, de s’inscrire dans l’organisation collective qui se met alors en place. C’est parfois laborieux. Certainement moins efficace qu’avec des missions fixées à l’avance. C’est ainsi l’occasion de travailler la capacité à faire ensemble, à communiquer, à apprendre à se servir d’une étiqueteuse, et j’en passe.
Parfois, ces moments sont aussi l’occasion pour certaines personnes plus à l’aise, ou plus expérimentées, de prendre le « lead », de devenir directives ; la vigilance collective est de mise pour les recadrer si cela va trop loin.
L’exception : la gestion des sous
Quelques personnes, dites « référentes », ont une mission précise dans la coop :
- Le créditomancien fournit la garantie que le solde est toujours positif. Ceci par l’existence d’une liste d’attente (« premier arrivé, premier servi ») à jour des commandes. Chaque membre doit inscrire la sienne. Un tableur permet de visualiser le solde du compte et les commandes prévues : le « créditotest ».
- L’arroseur paye les factures. Il paye les factures envoyée en temps et en heure. À condition que le membre qui a passé la commande se soit assuré de la disponibilité de l’argent.
Ces deux rôles ont été institués à la création de la coop. Cependant, aucun document écrit ne précise les modalités démocratiques de cette délégation. L’usage veut que ces rôles tournent chaque année. Les éventuel·le·s candidat·e·s se prononcent sur la mailing liste, suite à l’appel de la personne qui quitte son poste ou quiconque qui remarquerait que le temps est écoulé. Dans le cas où plusieurs personnes candidatent, iels s’arrangent entre elleux. Ces postes étant purement instrumentaux, ne recélant aucune part décisionnaire, ils ne sont pas l’objet de jeux de pouvoir. Ainsi, en trois ans, personne n’a jamais tenu particulièrement à prendre ces charges et les passations se font sans heurts. Au point où, parfois, personne ne se mobilise pour lancer la passation alors que le temps est écoulé…
À samedi 25 pour l’acte 2 pour la Louve ! N’hésites pas à commenter cet article, apporter des corrections, d’autres points de vues, etc. Ce blog est là pour ça !