Article écrit en janvier 2020.
Dans cette série « Jo Freeman vs. les Coop’s » Lucie et moi passons au crible le fonctionnement de deux coopératives alimentaires en utilisant les 7 principes qu’elle propose comme garantie d’un fonctionnement démocratique. Celle présentée ici est le supermarché coopératif la Louve. Ami·e lecteur·rice, tu es invité·e, sur ce site même, à en faire de même avec ta coop’ !
La Louve
La Louve est un supermarché coopératif de 1 450 m2 dans Paris XVIII, 4500 membres actifs ayant à fournir 3h toutes les 4 semaines et 10 salarié·e·s. C’est des AGs pour discuter des orientations. Ce sont 20% de marge sur les produits. C’est plusieurs années pour le lancement, des centaines de milliers d’euros d’emprunt.
Principe n°1
Résumé de mon analyse
La Louve ne s’est pas dotée de pratiques permettant une délégation démocratique de l’autorité, à fortiori par rapport à sa taille. D’une part, elle se base sur un modèle pyramidal où un·e président·e et un comité de gouvernance de 3 à 12 personnes peuvent engager la coopérative à quasiment tous les niveaux sans en référer au collectif. D’autre part, la présence d’employé·es renforce, ou dédouble, cette pyramide. En effet, ceci réduit la capacité du collectif à choisir et adapter ses délégations. Par ailleurs, sur d’autres dimensions (comme la gestion de la coordination des créneaux), il aurait pu être facilement imaginé d’autres manières de délégations démocratiques, plus adaptées et saines. Hélas, ces dimensions là sont elles mêmes déléguées aux employé·e·s. Les employé·e·s se retrouvent en pratique avec l’essentiel du pouvoir, créant un immense déséquilibre avec le reste du collectif.
Contexte démocratique de la Louve
La Louve s’est dotée d’une SAS et plus particulièrement une coopérative de consommation. Elle rentre à ce titre dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) et se doit d’avoir une gouvernance « démocratique » dont la modalité principale est : 1 membre = 1 voix. Ainsi le nombre de parts de l’entreprise possédées par le membre ne rentre pas en ligne de compte pour ces votes. Ils ont également une catégorie d’actionnaires avec un poids plus limité.
Le collectif se réunit en Assemblée Générale (AG) pour les décisions majeures. C’est théoriquement le moment où le collectif peut échanger et décider de nouvelles orientations. C’est également le moment où le collectif exerce un contrôle des activités des employés.
- 6 AGs par an.
- 8000 membres à la Louve dont 4500 actifs.
- Environ 100-150 personnes aux AGs.
- Parmi elles : les 10 employé·e·s, le·a président·e et le comité de gouvernance.
Dans leurs AGs, la majorité l’emporte. Ainsi une cinquantaine de personnes peuvent décider des orientations pour des milliers d’autres. Théoriquement, si une question amène de forts enjeux plus de monde pourrait se mobiliser. Néanmoins, je vois mal comment l’outil proposé (l’AG) peut permettre une décision à plusieurs centaines de personnes, encore moins à 8000. D’ailleurs cette inadéquation contribue certainement à la faible participation.
Les questions de délégation peuvent donc être traitée dans le cadre de ces AGs. Elles sont définies statutairement en ce qui concerne la présidence et le comité de gouvernance. Néanmoins on voit que concrètement il va être difficile de traiter ça démocratiquement avec si peu de temps consacré aux AGs et les conditions proposées pour celles-ci.
La gouvernance statutaire
En plus des modalités de l’AG, les statuts définissent explicitement des délégations et les modalités de nomination.
Présidence
Le « pouvoir de direction » (sic) est donné soit à un·e président·e, soit à un·e ou des « directeur·rice·s généraux·les ». Ces personnes sont investies « des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la Coopératives, dans la limite de l’objet social […]. » Néanmoins, pour quelques éléments particulièrement engageants (signatures de marchés et contrats, hypothèque, etc.) leurs dispositions doivent être validées par le « comité de gouvernance » ou l’AG.
Comité de gouvernance
Il est composé de 3 à 12 personnes nommées en AG pour deux ans, pouvant être révoquées. Ce comité se réunit sur demande de la présidence ou d’une partie de ses membres. C’est donc à titre exceptionnel qu’il se réunit. Il a néanmoins le pouvoir de révoquer la présidence « sans motifs » et « à tout moment ». Cela donne donc un pouvoir prépondérant à cette poignée d’individus par rapport au collectif (même si en théorie celui-ci pourrait rétablir à postériori la présidence déchue et révoquer ce comité). Ce fait me laisse perplexe et je n’arrive pas à trouver de raisons valables pour que cette décision ne soit pas l’exclusivité de l’AG.
Employé·e·s
Une délégation…
Les employés effectuent la totalité des tâches de gestion (choix des produits, des fournisseurs, commandes, compta, versement salaires, gestion des bénévoles, communication, formations à l’extérieur, etc). Il y a donc bien des personnes concrètes. Néanmoins leur liberté d’initiative est importante, non précisée dans les statuts.
.. démocratique ?
La délégation est théoriquement démocratique car l’AG a le dernier mot pour les embauches ou les licenciement. En pratique, des membres se plaignent d’embauches liées aux affinités des salarié·e·s en place. De la même manière, en théorie, l’AG pourrait modifier les responsabilités d’un salarié. Or, en pratique sa fiche de poste peut être limitante et, à moins d’envisager un licenciement, il faut fournir, quoi qu’il arrive ou presque, suffisamment de tâches à un·e employé·e pour remplir son contrat.
Coordinateur·rice·s des bénévoles
Une délégation…
Sur un cycle de 4 semaines, pour chaque créneau de 3h d’ouverture du supermarché, 15 à 20 bénévoles sont mobilisé·e·s. Un·e bénévole se retrouve à peu près toujours sur le même créneau. Ainsi, les groupes sont stables. Il y a par créneau un·e bénévole « coordinateur·rice ». Son autorité est bien délimitée : assigner aux autres bénévoles des postes et assurer que l’ouverture se passe bien (fonctionnement qu’il·elle n’a pas le pouvoir, en revanche, de modifier).
… démocratique ?
Un·e coordinateur·rice par créneau de 3h sur 4 semaines : ça en fait un paquet. Trop, avec le système d’AG choisi, pour permettre au collectif de choisir ces membres. Alors, ce sont les employ·é·s qui coordonnent ce système de coordinateur·rice·s. La délégation n’est donc pas démocratique, ou alors seulement comme extension de l’autorité déléguée aux employé·e·s…
Ce n’est pourtant pas faute d’une absence d’alternatives. En effet, une méthode concrète et efficace de délégation démocratique est envisageable : permettre aux bénévoles d’un créneau de choisir parmi elleux un·e coordinateur·rice. Cette proposition est d’ailleurs meilleure par bien des aspects car elle permet aux membres directement concerné·e·s de choisir pour eux même. Et donc de pouvoir s’adapter à leur réalité.
À samedi prochain pour Cocoricoop ! N’hésites pas à commenter cet article, apporter des corrections, d’autres points de vues, etc. Ce blog est là pour ça !